Le couvent et l’école (suite)
Ce ne sont pas tous les étudiants de notre classe qui pouvaient monter la glissade à feu. Il fallait avoir une certaine habileté, des bons gants et des bonnes chaussures. Sœur Saint-Camille est décédée à Saint-Boniface le 14 juillet 1960, l’année avant mon arrivée à Sainte-Anne.
Pour les 8ᵉ et 9ᵉ années, nous avions sœur Robert. Elle fit ses vœux le 9 avril 1918 et elle est décédée à Winnipeg le 13 mars 1974. Sœur Robert avait décidé de me donner la strap parce que j’étais arrivé en retard. Ce n’était pas la première fois. Surtout en hiver quand il fallait faire boire les animaux et pomper l’eau dans l’auge. Même après des explications et des notes de mes parents, elle ne pouvait pas comprendre que quand les animaux sortaient de l’étable le midi, c’était toute une cérémonie. Ah! Les vaches! Elles se grattent, elles se lèchent, elles boivent, elles s’étirent et elles recommencent. Finalement, elles entrent dans l’étable quand elles ont fini et toi, après tout cela, tu peux partir. Ce n’est pas une question de choix, ce sont elles qui décident. Quatre heures moins le quart venues, c’était le temps de la strap et voilà que sœur Robert était en action. Après quelques minutes, tout essoufflée, elle prend un moment de répit, j’en ai profité pour lui offrir de continuer, pour elle, pour pas que ça prenne trop de temps. Nous avions les mains dures comme l’enfer à travailler. Nous avions du travail qui nous attendait. Ensuite, pour les 10ᵉ et 11ᵉ années, le bon Dieu nous envoya sœur Marie-Sainte-Reine. Quel délice, quel cadeau! Elle était très sévère, mais appréciée de tous.
Quelle discipline! Elle disait silence une fois et c’était fini. Nous avons eu la chance de l’avoir pour nos dernières années. Nous partions champions dans notre temps. Merci sœur Sainte-Reine. Elle fit ses vœux perpétuels le 23 mars 1914 et elle est décédée à Saint-Boniface le 27 mai 1974.
Sœur Marie-Eugène-de-Jésus. Je ne vous ai pas laissée de côté, car vous ne m’avez pas enseigné. Mais on vous réservait pour votre doigté à gouverner les garçons dans la petite école. Et vous réussissiez très bien! Même avec Normand Bernardin, mon cousin, vous lui avez posé une question et pour des raisons inconnues, il ne répondait pas. En avançant vers lui et en répétant la question, encore il ne répondait pas. Arrivé à lui et un peu fâché de son comportement, vous lui avez sacré un coup de poing à la poitrine et Normand tomba absolument allongé sur le dos. Sa surprise et ses grosses bottines de soldat ferrées n’ont pas aidé! Sœur Eugène avait un don pour les élèves difficiles de comprenure. Elle était aimée de tous. C’est drôle de voir qu’elle venait de Sainte-Anne-des-Chênes. Elle prononça ses vœux perpétuels le 22 juillet 1911 et elle est décédée à Jacques-Cartier, au Québec, le 18 mars 1960. La très douce et très bonne sœur Ignatius de la Saskatchewan enseignait la musique. J’ai pris un an ou deux de piano avec elle. Je n’avais pas le temps de pratiquer et, de plus, les filles commençaient à me faire perdre mon temps et j’ai dû abandonner. Elle avait fait ses vœux perpétuels le 3 février 1942 et elle a disparu aussi mystérieusement.
Pour finir, Irma Rivard, une compagne de classe sous le nom de Marie-Nicol, fit ses vœux perpétuels le 24 janvier 1970 et elle aussi a disparu. Où es-tu Irma? Que fais-tu de bon, Irma? Et voici un compte rendu des Sœurs dévouées de Notre-Dame des Missions durant mes années à l’école d’Élie.
Le couvent est demeuré assez mystérieux par le fait même que la façade et les côtés étaient ornés d’épinettes presque aussi hautes que la bâtisse et touffues pour laisser très peu à l’œil. La clôture qui entourait le tout allait très bien avec l’idée que ce couvent hébergeait une communauté semi cloîtrée. Ça lui donnait un esprit de château mystérieux. Si tu n’avais pas de raisons spécifiques, tu n’y allais pas. Même avec une bonne raison, tu ressentais que ta visite dérangeait. Après avoir franchi les deux barrières de fer ornées qui longeaient le trottoir, tu pouvais voir apparaître un perron large et haut de huit à dix marches. En les montant une à une, tu pouvais constater que c’était un édifice de trois étages. Le vestibule bien vitré et un prélart glacial ajoutaient à la cérémonie de sonner la clochette et d’attendre. Attendre peut-être juste quelques minutes qui semblaient une éternité. Là, debout devant cette grille, on entendait une voix la transpercer. La voix était toujours précédée par un bruit reconnaissable si tu y allais souvent. Le bruit de pas rapide ou lent identifiait déjà la personne. Une porte qui ouvre et qui ferme et encore des pas. Enfin, la présence de quelqu’un derrière la grille et souvent une voix reconnaissable. Comme je disais, les sons et les bruits, la cadence des mouvements, la personne s’était vendue! Je n’ai jamais su comment et pourquoi c’était une telle personne ou une telle autre qui était assise là pour répondre aux visiteurs occasionnels. C’est certain que ce n’était pas quelqu’un qui était à ce poste de façon permanente. Souvent, c’était du personnel de la cuisine. Je reconnaissais le tablier blanc au travers du grillage. Souvent, aussi, c’était l’institutrice de musique sœur Ignatius qui se tenait proche de l’entrée pour recevoir les étudiants et les étudiantes pour des leçons de musique. Elle tenait toujours un crayon entre ses doigts. C’était pour nous faire des notes sur nos cahiers de musique.
(suite au prochain numéro)