Journée typique en hiver
Maintenant, je vais tenter de vous décrire une journée typique en hiver, chez nous, le long de la rivière La Salle. Il me semble que les mois d’hiver étaient plutôt tranquilles à l’époque dans le sens que notre ouvrage se limitait aux choses que les hivers rigoureux nous permettaient de faire. Nous avions toujours de l’ouvrage de routine, mais ce n’était rien comparé au travail d’été. Les activités se ressemblaient d’un hiver à l’autre : l’entretien général, la réparation de la machinerie, le soin des animaux, voir à nettoyer le grain pour le printemps, à moudre les grains pour les animaux d’élevage, s’il le fallait. On profitait des belles journées encore ensoleillées pour charroyer les dernières charges de foin. En mars, même si la température était plus clémente, nous avions un sérieux problème avec les bancs de neige dans les champs et même sur les chemins de côté. Trop souvent, il se formait des bancs de neige en travers des chemins et ça nous occasionnait de renverser ou de perdre notre charge par un glissement sur les côtés. Il fallait chaque fois s’arrêter et couper le banc de neige avec une pelle pour que les lisses de notre traîneau puissent garder l’équilibre. Trop souvent, faute de temps ou à cause du froid, nous prenions des risques, et voilà que notre charge de foin glissait dans le fossé. Pire encore, s’il arrivait par malheur que les lisses glissent en bas des madriers sur notre fameux pont, il fallait refaire notre charge au complet à deux pas seulement de l’étable. Pour la maison, il fallait s’occuper du chauffage, des repas, de la vaisselle, entrer le bois, la glace et garder les seaux vides. Celui de la cuisine, tu pouvais le vider cinq fois par jour et il était toujours plein. L’autre seau, celui d’en haut, il fallait aussi le surveiller de près. Il fallait le faire disparaître discrètement et à des moments opportuns. Le long escalier n’aidait pas du tout. Une fois, en descendant l’escalier, le seau avait été échappé. Même après plusieurs nettoyages, on pouvait encore détecter une odeur suspecte.
L’hiver, les animaux étaient tous bien gardés dans l’étable. Le traîneau à fumier était logé dans la grande allée et rempli au fur et à mesure. Quand arrivait le samedi, l’étable était nettoyée bien propre et le traîneau encombré était charroyé au champ avec le tracteur. Quand il y avait trop de neige, on se servait d’un des chevaux, surtout la Queen et le grand King, car les deux étaient vaillants et aimaient rendre service.
Souvent après avoir aussi nettoyé le poulailler, la mère avait quelques courses à faire au village qui était à peu près à un kilomètre de chez nous. Alors, on mettait de la paille propre sur le traîneau et il servait bien pour des courses de la sorte. La chose qu’il fallait surveiller en tout temps était de ne pas laisser le traîneau glisser par en avant et frapper les pattes de derrière du cheval. On était devenu des experts dans ces cas-là. Et c’est pour cela qu’on pouvait difficilement laisser des étrangers conduire le cheval dans de tels cas.
Vous pensez que les poules ne parlent pas? Eh bien! laissez-moi vous corriger. À toutes les fois qu’on nettoyait le poulailler et qu’on avait fini d’étendre la paille fraîche, les poules se mettaient à marcher lentement, très lentement, en faisant des pas allongés, touchant par terre légèrement, et piaillaient fortement, bruit qu’on entendait seulement à cette occasion-là. C’était un piaillement qui allait comme ceci : PPPWWWAAAtt, PPPWWWAAAtt, PWAt, PPPWWWAAAtt, faisant toujours le tour du poulailler, ou marchant d’un bout à l’autre. C’était pour elles la fête de la semaine. Et aujourd’hui, elles sont élevées sur de la broche, pondent sur la broche, et sont récompensées par une mort pas tellement longue ni glorieuse après une vie courte et renfermée.
(suite au prochain numéro)